1/10/2017


Oui. On revient de loin.
(Nonononono limit)



  Au même titre que le cinéma, la musique tient une place centrale dans ma vie. Carlos (encore lui), avait déjà tenté de me montrer à quoi pouvaient ressembler le rock et la pop dans son ensemble (en me concoctant des compils géniales de son cru sur K7, enchaînant sans complexes INXS, Léonard Cohen, Springsteen et Nina Hagen). Mais chez les enfants, et dans le milieu scolaire d'autant plus, la pression sociale a souvent le dernier mot quand il s'agit d'orienter vers une chose ou une autre.
  Jusqu’à mes 10 ans, la musique était un élément comme un autre, présente sans que j'y fasse vraiment attention. J'avais une chaîne Hi-Fi, et mes parents avaient eu tendance à vouloir me pousser vers la musique classique. Autant dire que le déclic ne s'est jamais vraiment opéré, et même si j'aime pas mal de morceaux « classiques », vous n'en trouverez aucun dans mon baladeur par exemple (sauf des BO de films, bien sur). Pour une raison qui m'est encore complètement obscure, je m'étais entiché de Patrick Bruel (période « alors regarde », le top moumoute) avant de revirer vers Mickael Jackson à la sortie de « Dangerous ». Mais c'est à mon entrée en sixième que la musique à pris une certaine importance, pas forcément pour les meilleures raisons.
   Quiconque a survécu aux années collège se souvient de ces guerres de clochers improbables entre les porteurs de Nike et ceux de Reebok (et vous plutôt Air ou Pump?) ou les footeux contre les basketteurs. Par chez moi, la guerre opposait les auditeurs de Fun Radio (les gentils) et ceux d'NRJ (les irrécupérables). Ne pas prendre parti était bien évidemment inconcevable si l'on voulait exister aux yeux du monde (surtout qu'une nouvelle espèce de créatures avait fait son apparition : les Filles). Environs 90% des discussions de cours de récré de mes années de sixième et cinquième tournaient autour de Lovin'Fun, l'incontournable émission avec un peu de sexe dedans. C'est donc comme ça que votre serviteur s'est mis à écouter plus qu’assidûment Fun Radio et sa cargaison de tout ce qui cartonnait dans les charts, en particulier un fléau de cette époque: l'Eurodance. Haddaway, Double You, 2 Unlimited... toute la soupe dansante d'alors trouvait grâce à mes oreilles, je m'en faisais des compils pompées à l'arrache sur diverses stations de radio. Mais plusieurs découvertes allaient semer le trouble dans cette flaque de goûts plus que douteux.

Tout un programme non?

  L'été juste avant ma rentrée en sixième, mes parents avaient déménagé dans une nouvelle maison. Plus grande, moderne, posée sur une colline juste au dessus du grand cimetière de la ville. Le matin, en ouvrant les volets de ma chambre, j'avais une vue panoramique sur des centaines de tombes. Le soir venu, la fascination le disputait à la crainte de voir ce paysage insolite s'animer d'ombres menaçantes et affamées. (rien de tel n'arriva jamais. Pas le moindre feu follet, pas de profanateur bossu remuant pelle et lanterne sourde... petite déception).
La maison près du (grand) cimetière.
 Un samedi après midi d'errance ordinaire à la médiathèque locale, j’empruntais, un peu par hasard (même si le titre m'avait aiguillonné), "Thriller", de Michael Jackson. Pas franchement emballé par tout le début, je sautais directement à la piste qui m'intéressait : "Thriller" donc. Claque. L’ambiance est noire et rigolarde, troussée comme un tour de train fantôme. Avec les années j'écoute toujours cette chanson avec plaisir , mais ce final à l'orgue rappé par Vincent Price et son rire machiavélique m'électrisent encore aujourd'hui comme à la première écoute. Et autant dire que le voisinage immédiat du cimetière ajoutait à l'ambiance. Quelques semaines plus tard, la diffusion du clip à la télévision (dans une émission présentée par un Nagui ne reculant devant aucune blague vaseuse sur la chirurgie ou les caissons à oxygène) fut un choc encore plus grand. Un loup Garou ! Des Zombies ! J'ignorais alors qui pouvait bien être Vincent Price et n'avais jamais vu aucun film de John Landis mais j'étais totalement séduit : bien mélangés, musique et horreur font un cocktail divin.

  


  Quelques mois plus tard. J'avais une heure à tuer entre deux cours et décidais de la passer au CDI. Je papillonnais à droite à gauche et feuilletais distraitement quelques magazines. Rien de bien génial à se mettre sous la dent (les CDI, en tout cas à l'époque, étaient assez peu fournis en revues susceptibles d’intéresser un pré-ado) mais mon regard est tout de même attiré par un article que les gamers, rôlistes et métalleux de tous horizons connaissent bien. Le titre : « Encore un suicide d'adolescent lié au Hard Rock ». Tiens tiens. Intéressant. Je n'ai plus vraiment de souvenir du corps du texte, mais ça parlait en gros de paroles incitatrices, de mélopées sataniques, de dépression et donc de suicide. Quelques noms de groupes y figuraient : AC/DC et Iron Maiden entre autres. Vu d'ici et maintenant, tout ça prête vraiment à rire, mais ces  intox alarmistes dégageaient cependant un petit parfum de danger, un fumet sulfureux absolument séduisant. Je devais essayer.
  Le samedi suivant, aller/retour express à la médiathèque, où j’empruntais La seule cassette disponible parmi les références de l'article : « Back in Black » d'AC/DC. Un peu nerveux, appréhendant l'horreur diabolique qui allait déferler dans mes oreilles et peut-être me pousser dans la demi-heure à me jeter sous un train, j’enfonçais la touche « PLAY ». Des cloches funestes, un riff de guitare comme je n'en avais jamais entendu, une voix indescriptible. Puis cette incoercible envie de bouger la tête et taper du pied. Pas de pensées morbides sur ces bandes, tout est sombre mais bel et bien vivant, plein d’énergie électrique brute. It's Alive ! Si toute la musique vendue par les adultes comme des abominations impies était aussi cool que ce "Back in Black", alors c'était décidé. J'écouterai du Rock.
  Mais comme toutes les routes (vers l'enfer), celle du rock était semée d’embûches. Et d'énormes crottes de chien. 




 
Ma cassette d'Assdèss longuement écoutée et dûment copiée, une autre visite à la médiathèque s'imposait. Je portais mon choix sur le "Machine Head" de Deep Purple, "No prayer for the Dying" de Iron Maiden et "Use your Illusions I" de Guns n' Roses. Ouch. Le premier s’avéra pénible et vieillot. Le second, malgré un artwork du feu de dieu, etait une gadoue mélodique rehaussée d'une voix de fausset insupportable. Seul l'album des Guns m'électrisa vraiment et m'accompagna durant quelques années, la bande son de Terminator 2 enfonçant le clou. Puis, lors de vacances en Normandie, une de mes cousines me fit écouter mes toutes premières chansons de ce qui deviendrait un des groupes phares de mon adolescence : Nirvana. Pas encore friand des titres énervés du trio de Seattle, je rentrais deux semaines plus tard avec en poche une compil' des titres les plus pop de "Nevermind" et "In Utero". Un certain équilibre en somme, totalement raccord avec ma vie plutôt peinarde d'alors : je n'avais pas (encore) besoin de déferlement de violence dévastatrice. En effet ma petite ville, dans les années 80 et début 90, ressemblait dans mon esprit au Hill Valley de Retour vers le Futur : un patelin bienveillant. Il y avait bien sûr quelques Biff Tannen dans les parages, mais dans les grandes lignes c'était la ville idéale pour un gamin de 12 ans. Plein de coins supers à explorer en vélo (des bois, un dépôts ferroviaires...), une piscine vraiment pas mal, un super vidéoclub bien fourni et plein de conneries sensass à faire durant les étés interminables.

Puis un jour tout changea. Mes parents m'annoncèrent un jour que nous allions déménager à l'autre bout du pays. J'allais bientôt perdre de vue tous mes amis et découvrir une région morne et froide peuplée de gens hostiles et obtus. Mais pire que tout : une ébullition d'hormones annonçait les prémices d'une crise d'adolescence de premier choix. Heureusement, MacGyver n'était pas loin.

(A suivre)