12/12/2016

                                "-Mais pourquoi aime-t-il les méchants ?"
                            


Ce week-end, je suis seul chez moi. Ma compagne est à l'autre bout du monde (en Savoie) en dédicace et ma fille à l’abri chez ses grands parents. C'est étonnant comme les vieilles habitudes d’ermite peuvent reprendre le dessus en quelques heures. J'ai donc fermé tous les volets, pris un bain à 80°C, commandé la pizza la plus grasse que j'ai pu trouver et tourné le bouton de volume de la chaine Hi-Fi au taquet à droite. Nick Cave. Mazzy Star. Gary Numan. Drugstore. Interpol. Des trucs qui sentent bon la nostalgie et parfois un peu le souffre, tout ce j'aime en gros. Dans la foulée, quelques films pour accompagner ma pizza double raclette : « Re-animator », « Vampire, vous avez dit Vampire ? » et « Le loup garou de Londres ». Parfait. Si je suis à peu près capable de refaire le « comment et pourquoi » de mes goûts musicaux (j'y reviendrais, c'est une histoire assez marrante avec du Mac-Gyver dedans), je me suis rendu compte qu'il m'était bien plus compliqué d'expliquer mon amour immodéré pour les goules, vampires, blobs, zombies et pour le cinoche fantastique en général.
Quelles sont les raisons qui poussent quelqu'un à se passionner pour la peur et la tripaille, sous à peu près toutes leurs formes, plutôt que pour le foot, les bagnoles, la chasse à cour ou le macramé ? Chaque amateur de trouille a son propre parcours et, je pense, son propre trauma, qui peuvent expliquer (du moins en partie) cet attrait pour une forme d'évasion cathartique.


Été 198?, quelque part dans la campagne normande.


Allongé dans mon lit, j'attendais. La nuit était tombée depuis peu et seule la lampe de chevet diffusait sa lumière rassurante dans cette petite chambre aménagée dans les combles. A travers le Velux, je discernais les premières étoiles, devant lesquelles jouaient les branches de quelque grand arbre, bercées doucement par le vent. Seul parvenaient à mes oreilles les bruits étouffés et rassurants de conversations des adultes, au rez de chaussé. La journée avait été longue, belle, riche, comme toute journée de Grandes Vacances digne de ce nom.
Le bocage, dans ce coin de Normandie, a quelque chose de magique et de funeste à la fois, même par une radieuse journée d'été. Toute la région est chargée de légendes et d'Histoire, et pour l'imagination galopante d'un enfant de sept ans, un petit bourg de quelques âmes se mue en terrain de jeu aux possibilités infinies et aux dangers mortels. Les maisons basses, occupées par quelque vieille veuve folle à lier. Le vieux lavoir, bordé d'une eau saumâtre hantée par des sangsues monstrueuses. Le cimetière ceignant l'église, à la fois refuge pour toutes sortes d'abominations purulentes et affamées mais recelant sans nul doute quelque trésor oublié en attente de l'enfant astucieux qui l’exhumerait. Le puits condamné, non loin de l'école primaire, avec sa porte cadenassée, bloquant l'accès à des souterrains pleins de pièges mortels. Le vieux moulin, inaccessible derrière une étendue de sables mouvants, résidence rêvée pour tous les vampires et spectres alentour. De quoi remplir quelques bonnes journées et alourdir quelques rêves.
Mais la cerise sur le gâteau arrivait le soir, avant de m'endormir. Je tendais l'oreille, allongé, et invariablement, les pas de mon oncle faisaient craquer l'avant dernière marche de l'escalier en bois tandis qu'il montait vers ma chambre. La porte s'ouvrait alors il s'asseyait près du lit et me posait la question rituelle : « Tu préfères quoi ? une histoire débile ou une histoire qui fait peur ?» J'adorais les deux, mais, comme pour mettre un point final à ces journées pleines de d'exaltation et de découvertes, c'est souvent l'épouvante qui l'emportait.


"Concerning Hobbits"
Terrain de jeu estival
L'église de toutes les frousses
Les abords du lavoir (et ses sangsues carnivores géantes)
Le puits condamné

Bedtime Stories


Mon oncle était mon héros à cette époque. Il a une imagination débordante, des goûts musicaux solides et s'intéresse à tout; il avait toujours l'idée de génie qui transformait un après midi d'ennui assuré en poilade inoubliable (même si, après coup, certaines idées, comme jouer au Base-ball avec des gourdins et des boules de pétanque en plastique remplies d'eau se sont avérées aussi dangereuses que fun). Il m'a appris assez tôt à jouer aux échecs, en utilisant des termes de science fiction simple et imagés et des bruitages (les tours par exemple se transformaient ainsi en « tourelles laser mobiles infranchissables », faisant « Bzzziuuuu » lors des déplacements ). Un simple plateau de Monopoly pouvait, au fil d' inventions de nouvelles règles délirantes illuminer une fin de journée morne et pluvieuse. Mais il m'a surtout appris à aimer les histoires tordues et les débordements imaginatifs.
Carlos (c'est son nom) est un conteur génial. la grande force de ses histoires, c'est que, bien qu'inspirées de nombre de films ou de bouquins qu'il a ingurgité (mais ça je l'ai découvert bien plus tard), elles étaient toujours en grande partie improvisées en fonction de mes réactions ou mes questions. J'ai assez peu de souvenirs des histoires en elles- mêmes, mais elles tournaient souvent autour de bestioles gigantesques genre tigre blanc, alligator mutant ou Big Foot qui auraient installé leur antre non loin d'une petite ville. Plusieurs victimes, des enquêteurs, un plan désespéré pour se débarrasser du monstre, avec au milieu quelques membres arrachés/dévorés et pas mal de suspens. Mais pas trop non plus : j'avais le droit de choisir la fin. Heureuse, sérieuse ou terrible (la fin sérieuse typique consistait à faire survivre les personnages gentils, sans pour autant que le monstre soit vaincu. Ce dernier, blessé, reviendrai sûrement se venger. Un jour....). Autant dire que j'optais le plus souvent pour le Happy End, le reste de l'histoire me foutant une trouille bleue, je tenais le coup en me disant que tout finirait bien par s'arranger.
 Les histoires de Carlos ne m'ont jamais empêché de dormir et j'en redemandais (non sans parfois réclamer une bonne vieille histoire débile*, c'est important de varier les plaisirs et on ne dort jamais mieux qu'après un bon fou rire). Elles furent mon premier vrai contact avec le genre horrifique, le macabre et le gore, tous ces trucs un peu interdits mais fascinants que les parents tentent en général d'éloigner le plus possible de leur progéniture. Couplez tout ça avec l'ambiance si particulière du bocage normand et les craquements d'une maison pas vraiment familière: le cocktail parfait pour transformer un kid sans histoire en fondu de fantastique.


Merci Tonton.




* Pour situer, un vague souvenir d'une de ces histoires : L'histoire d'un enfant qui s'appelle Ouète (ça choque moins à l'oral), et qui, bien entendu, passe ses journées à faire caca. Ses parents sont obligés, à chaque sortie, de prévoir un sac pour y stocker ce flux constant de déjections. Le sac en question (sur lequel il est évidemment écrit Caca Ouète), se retrouve volé par quelque brigand mort de faim. Le brigand se jette sur le sac, porte des grandes poignées de Caca Ouètes à la bouche et avant de réaliser se met à vomir sans discontinuer à grand renfort de bruits cracras. Tous les témoins de la scène : un parc bondé, se mettent bien sûr à gerber de concert, avec pour résultat un parc inondé de vomi et le fou rire d'un gamin pas encore vraiment porté sur la subtilité. Pro tip : ne jamais sous estimer la puissance comique des déjections, quelles qu'elles soient.